Franz Schrader


Un artiste en osmose avec la peinture de son temps

Franz Schrader est un bourreau de travail, et s'il ne pratique l'art du paysage qu'à temps perdu, c'est avec un rare bonheur. Son oeuvre peint, dessiné et gravé comporte plus d'un millier de pièces. Les Pyrénées ont constitué son réservoir de motifs préféré ( panoramas du Piméné, du Mont-Perdu, du Cotatuero, etc) mais il a aussi peint les Alpes, pensons à son Panorama du Mont-Blanc pour le pavillon du CAF à l'Exposition universelle de 1900.

Pour peindre la montagne «une première condition, difficile à réaliser, c'est d'oublier ce qu'on a appris en bas, mieux vaudrait même n'avoir rien appris du tout» déclare-t-il le 25 novembre 1897. Cette phrase-boutade légitime un parcours d'autodidacte.La pratique du dessin pris sur le vif accompagne le moindre de ses déplacements. Tout jeune, il copie des lithographies romantiques : paysages pyrénéens ou alpins qui marquent par leur style ses premiers travaux sur le terrain. Au fil des années, après s'ecirc;tre saisie du squelette et des articulations complexes du massif, la passion picturale de Schrader considère la montagne plus comme phénomène lumineux que comme réalité géologique. A l'instar de Monet qui déclare vouloir peindre «l'enveloppe» (cette atmosphère colorée qui baigne ses motifs), Schrader sait que «peindre, c'est reproduire un sujet, non point tel qu'il est, mais tel qu'il apparaît» . C'est un «travail de traduction, de juxtaposition ou de superposition... où l'objet doit être noyé dans ses enveloppes fluides d'air, de lumière, de nuage». La dernière vue qu'il peint du Cirque de Gavarnie (1923), trouve une unité toute post-impressionniste dans un large aplat de bleu pur. L'évolution que présente la longue suite de cirques peints de 1866 à 1823 fait état de métamorphoses logiques et continues : de la description à la sensation, et de cette dernière à une synthèse qui préfigure l'abstraction. Schrader n'est ni dans le pittoresque, ni dans le sublime montagnard. Il est dans la Modernité picturale. En pur autodidacte, il a l'intuition que la peinture, comme le savoir, est une pratique en constante évolution.

Chez ce personnage d'exception, le sensible se fond avec le scientifique, l'émotion est à l'origine d'une éthique : «par le beau dire le vrai». Le beau, Schrader l'a mis en pratique d'une manière unique dans la peinture de nos montagnes. Grâce à lui, les Pyrénées gagnent le panthéon de ces lieux privilégiés qui ont pu générer une révolution du savoir, des regards, de l'art en harmonie étroite avec les grandes orientations esthétiques, philosophiques et les conquêtes technologiques d'une époque.

A mettre au compte de son attachement à nos Pyrénées et à sa conscience de géographe : ses inquiétudes quant au devenir écologique des zones boisées d'Ordesa. Ses discours d'alerte inaugurent une anthologie de la pensée écologiste. Ils sont un legs pour le XXIe siècle dans le sens où ils investissent notre civilisation d'un devoir : faire un usage mesuré et réfléchi des paradis naturels que sont les territoires montagnards.

Considérant l'apport de Schrader, l'historiographe du «pyrénéisme», Henri Beraldi ne tarit pas d'éloges. Schrader colle parfaitement à la définition qu'il donne de ce concept : «L'idéal du pyrénéiste est de savoir à la fois ascensionner, écrire et sentir. Si - chose rare - il monte, écrit, et sent, si en un mot il est le peintre d'une nature spéciale, le peintre de la montagne, il laisse un vrai livre, admirable.» Pour Louis Le Bondidier, autre célèbre promoteur de cette «discipline», il existe deux types de pyrénéistes : ceux «pour qui l'ascension est une fin» et ceux pour qui «elle n'est qu'un moyen». Schrader répond à la seconde.

Hélène Saule-Sorbé, Michel Rodes, Guy Auriol

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